Dans mon précédent article, j’ai partagé ma prise de conscience face aux enjeux du dérèglement climatique, de la perte de la biodiversité et des combats sociaux, tous intimement liés.
Pour moi (et des milliers de scientifiques d’ailleurs), le constat est clair : il est nécessaire d’agir, maintenant.
J’ai commencé par me dire qu’en changeant mes habitudes de consommation - comme en voyageant en train plutôt qu’en avion, en mangeant plus végétal - et qu’en trouvant une mission de bénévolat à faire après le travail, je trouverais l’équilibre qui me permettrait d’aligner mes convictions avec ma vie. Mais la réalité remplace rapidement les idéaux. Dans nos vies à vive allure, j'ai dû me rendre à l'évidence : je n’ai pas réussi à trouver ce temps libre et cette énergie nécessaire pour m’engager suffisamment, pour avoir un vrai impact.
Alors oui, pendant un temps j’ai réussi à consacrer mes mardi soirs à aider la distribution de la soupe populaire à Bastille. Mais après seulement quelques semaines, mon travail s’est immiscé sans que je puisse en prendre le contrôle... La première fois c’est un déplacement professionnel, la suivante la fête de Noël, celle d’après c’est l’anniversaire de X et finalement j’ai réalisé qu’il m’était impossible de m’impliquer régulièrement avec mon travail et les responsabilités qui allaient avec. Et, précisons-le tout de même, à choisir je rognais d’abord sur le bénévolat plutôt qu’un évènement prévu en famille ou avec des amis, ou même une séance de sport qui me permet de rester équilibrée.
Le temps de travail occupe une place tellement centrale dans nos vies (nous passons en moyenne 70 000h à travailler dans une vie) qu’il me paraissait important de réfléchir à comment l’utiliser au mieux. C'est pour cela que j'ai cherché à aligner mon activité professionnelle avec mes valeurs, au lieu de simplement me dire que j’aurai le temps plus tard.
Autrement dit, j’ai fini par décider de regagner du temps de vie.
De toute évidence, nous sommes des humains avec notre propre histoire et nos bagages qui sont nos situations - professionnelle, familiale ou personnelle - et nos contraintes - une maladie, rembourser un prêt, ou tout simplement avoir un problème plus urgent à régler que le dérèglement climatique. Je pose ça ici mais rappelons que certains se battent pour survivre et que penser à “changer de job pour être moins en dissonance avec soi-même” reste un luxe. Je ferme la parenthèse à ce sujet pour cet article. Je disais donc, qu’il est nécessaire de prendre en compte d’où on vient, où l’on est avant de savoir où l’on veut aller.
Dans cet article, je vous partage la méthode que j'ai suivie (avec une situation que l’on pourrait résumer en “cadre supérieure sans enfants ni prêt à rembourser”) pour prendre la décision de démissionner de mon entreprise, un processus loin d'être simple mais nécessaire pour retrouver du sens dans mon quotidien.
La transition écologique et solidaire concerne tous les métiersLa transition écologique n'est pas une question qui se limite à quelques secteurs ; elle touche tous les domaines d'activité. Peu importe le métier que vous exercez, il est possible de se poser des questions pour évaluer la durabilité de son entreprise et l'impact que l'on souhaite avoir dans le monde.
Pour m'aider à faire le point, je me suis appuyée sur une série de questions simples, mais révélatrices, que propose l'Institut Transitions dans leur approche de la transition professionnelle, vous pouvez les retrouver sur leur site :
Question n°1 : Dans un monde durable, mon entreprise, ma structure existe-t-elle encore ?Vous vous en doutez, la réponse à cette question n'est pas évidente donc pour vous aider, j'ai identifié trois réponses possibles appuyées de mon propre raisonnement, à vous approprier bien évidemment :)
Le “OUI” évident : Oubliez les bullshit jobs, ici je parle des structures, des métiers sans lesquels notre société ne tournerait plus très rond. Comment les repérer ? En général, plus un emploi est utile moins il sera payé, ce que l’on arrive assez bien à illustrer avec le cas des infirmières, des professeurs, des professionnels de la petite enfance… Ces métiers ont un rôle crucial à jouer dans un futur plus durable même si des efforts doivent être fait pour améliorer leurs conditions de travail ou une partie du système dans lequel ils évoluent comme par exemple manger plus sainement dans les cantines scolaires ou limiter les prescriptions médicales excessives.
Le “NON” évident : À l'inverse, certaines entreprises, comme celles liées à l'extraction de pétrole, ne sont pas souhaitables dans un futur durable à long terme en raison de leur impact direct sur les émissions de gaz à effet de serre et la dégradation des écosystèmes. [édit du 30/10/24 : il me paraît important ici de nuancer ce "NON" : nous sommes souvent encore très dépendant de certains de ces secteurs (car besoin d'énergie, de ciment...) qui peuvent présenter des gros leviers de décarbonation. Il me semble donc nécessaire de bien s'interroger sur la volontée réelle de faire bouger les lignes de ces structures, et d'utiliser les questions suivantes pour déterminer notre rôle dans cette transformation]. Dans d'autres cas, il peut être pertinent de réorienter ses compétences vers des secteurs moins carbonés, par exemple en se servant de plateformes comme Shift Your Job pour explorer d’autres opportunités. Pour certains métiers, une des pistes qui peut être explorée est de garder le même métier, par exemple comptable, mais la transférer dans une structure plus durable (et oui, même les associations ont besoin de comptables !).
Le “PEUT-ÊTRE” : Parce que tout n’est pas noir ou blanc, il nous reste les zones grises.
En ce qui me concerne, j'ai travaillé plusieurs années dans l'artisanat de luxe, qui (à mon sens) présente plusieurs caractéristiques d'une entreprise durable : production locale, création d'emplois dans des régions à fort taux de chômage, produits durables et réparables, utilisation de peaux issues des déchets alimentaires... C’est d’ailleurs ces éléments, ces valeurs, qui m’ont fait rejoindre ce secteur plutôt que l’automobile à la sortie de ma formation d’ingénieure en mécanique. Cependant, deux aspects ont commencé à me troubler de plus en plus : la clientèle visée et la non-nécessité des produits fabriqués. La consommation de produits de luxe reste réservée à une élite dont le mode de vie a un impact disproportionné sur la planète...
Avec le temps, ces deux aspects m’ont de plus en plus questionnée et m’ont amené à approfondir ma réflexion avec les questions suivantes.
Question n°2 : Mon entreprise peut-elle se transformer pour s’adapter à un futur durable ?L'adaptabilité d'une entreprise dépend souvent de sa culture. Pour en avoir une idée, commence par examiner des éléments concrets : son bilan carbone, la présence de formations sur la biodiversité ou le climat, l’organisation d’événements durant la Semaine du développement durable, etc. Des ressources comme le site OpenClimat permettent de vérifier l’action climatique des entreprises. Garde cependant un regard critique pour déceler les stratégies de greenwashing qui masquent parfois l’inaction réelle.
Dans mon cas, je trouvais mon entreprise engagée sur ces sujets et même qu’elle mettait en lumière certaines initiatives à visée solidaire ou environnementale. J’ai longtemps été convaincue qu’en restant et en participant à des activités moteurs à ce sujet, une entreprise pouvait influencer les autres en ce sens et mener à une transformation réelle du reste de l’industrie, de ces concurrents.
J’en suis encore en partie convaincue et d’ailleurs c’est ce qui m’a longtemps fait hésiter à poursuivre mon engagement de l’intérieur. Heureusement qu’il me restait des questions auxquelles répondre !
Question n°3 : Ai-je le pouvoir d’influence ou de prise de décisions stratégiques ?Être capable d'impulser le changement au sein de son entreprise dépend du niveau de pouvoir et de la liberté d'action que l'on possède. Une question clé est de savoir si vous pouvez participer à la définition de la stratégie ou si vous êtes contraint de suivre des directives incompatibles avec vos valeurs.
De mon côté, ayant fait le choix en 2023 de quitter Paris pour la province, j’ai tout de suite vu que je perdais de vue ces personnes clés qui restent à la fois accessibles ("un petit café et on discute ?") et qui ont un fort pouvoir d’influence. En un an de vie lyonnaise, malgré des aller-retours fréquents à Paris, ne plus croiser certaines personnes dans les couloirs fait perdre de vue les initiatives en cours ou des moments d’échanges possible pour relayer certaines causes ou initiatives locales.
Alors je n’ai qu’une chose à dire : si vous êtes en situation de pouvoir, ne serait-ce qu’un peu, questionnez vous sur ce qui peut être amélioré à votre échelle, quelle voix faire entendre dans votre équipe car souvent, un petit coup de pouce peut mener bien loin !
Question n°4 : Ai-je assez de ressources, de temps et d’énergie pour mener à bien des projets transformateurs ?Être en mesure d'initier des projets qui ont un impact positif nécessite un investissement personnel important. Il faut de l’énergie pour embarquer ces collègues, souvent l’ajouter à une charge de travail conséquente sans qu’il soit forcément reconnu et surtout n’en voir que rarement les bienfaits, souvent sur le long terme le temps que le mouvement prenne.
Pour ma part, mon poste demandait d’importantes responsabilités et des aléas de production pouvaient rapidement créer des pics de charges difficiles à résorber. Je n’ai pas réussi à prendre assez de recul pour jongler entre tous ces éléments et rapidement j’en suis arrivée à la conclusion qu’avec les conditions actuelles (ou futures optimistes), je ne pourrais pas réussir à aligner à hauteur de mes envies mon travail et mes valeurs.
Après avoir passé en revue ces différentes questions, j'ai pris conscience que ma situation professionnelle ne me permettait plus d'être en adéquation avec mes valeurs. Mon métier contribuait certes à des aspects positifs, mais il restait des éléments incompatibles avec ma vision d’un futur durable. Le reconnaître a été une étape cruciale, même si la décision de partir ne s’est pas prise du jour au lendemain.
En fin de compte, décider de rester ou de quitter une entreprise dépend de plusieurs facteurs et de l’évaluation que tu en fais. L'important est de ne pas abandonner et de continuer à explorer les moyens d'agir pour construire un monde plus aligné avec vos valeurs. J’espère que ces quelques questions pourront t’être utiles dans votre réflexion !
Dans mon prochain article, je parlerai des aspects plus concrets de ma décision : comment jongler entre contraintes financières, obligations familiales, et le désir de suivre une nouvelle voie professionnelle. Car si le changement est nécessaire, il doit aussi être réalisable et soutenable.
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